Et si votre adversaire tant redoutée devenait votre meilleure alliée ?
Vous connaissez la petite et celle digne d’un loup. On la qualifie parfois de mauvaise conseillère mais elle peut aussi nous servir à justifier nos moyens. Certains en meurent et d’autres souffrent de ne jamais la ressentir. Néanmoins, “c’est toujours (par elle) que commence un bon repas”* Aujourd’hui je vous parle de la faim.
Au programme de cet article :
- Comment j’en suis venue à chérir ma faim
- La faim réjouissante
- La régulation du comportement alimentaire
- La peur d’avoir faim
- Ma faim chérie
1. Comment j’en suis venue à chérir ma faim
Ma faim, je la ressens comme une sensation de creux au niveau de mon estomac, souvent accompagnée d’une lourdeur dans la mâchoire, parfois une sensation qui remonte dans la gorge. Quand je la laisse trop se développer, elle envahit mon mental et produit une sorte d’empressement mêlé d’agacement. La version de moi qui se déploie à ce moment-là n’est certainement pas la meilleure. La faim (la mienne et sans doute la vôtre) évolue par vagues successives : petite, moyenne, grande. Quand je laisse passer ma faim idéale, j’observe que je mange beaucoup trop vite, ma digestion en est perturbée et j’ai dû mal à respecter mon rassasiement.
Lors de la première décennie que j’ai passée à tenter de contrôler mon alimentation pour pouvoir m’aimer, je résistais à ma faim. Je la jugeais, elle provoquait ma colère et je la voyais comme le témoin de mon incapacité à vivre dans un corps digne d’amour, comme le signe de ma non-conformité.
Mais pourquoi j’ai toujours faim, je ne suis pas normale !
J’ai fait une première découverte de l’alimentation intuitive aux alentours de mes 25 ans. J’ai alors renoué avec ma faim, je la reconnaissais, mais je ne la comprenais pas toujours, j’étais toujours dans la lutte et surtout je me jugeais (encore) de ne pas arriver à la respecter. Car évidemment, il existe 1001 raisons de manger sans faim.
Puis, des années plus tard, épuisée par cette lutte à laquelle je ne voyais pas d’issue, j’ai changé de perspective, décidé de mettre un terme à tout ce qui m’avait conduit à ce point de non retour :
- je luttais toujours contre ce corps qui était de plus en gros,
- je passais mon temps à réfléchir et ruminer autour de la nourriture,
- et pourtant, je ne savais plus quoi manger.
- je ne voyais pas d’issue entre le contrôle absolu dont je ne voulais plus et l’acceptation bodypositive à laquelle j’avais aussi du mal à adhérer pleinement.
- j’étais aussi préoccupée par ma santé : mon dos, mes genoux, ma glycémie, mes hormones, bientôt la ménopause….
En bref, j’ai expérimenté quelque chose de radicalement différent dont je vous ai déjà parlé ici : la douceur et l’amour. J’ai appliqué petit à petit mon regard d’amour à cette partie de moi, celle qui avait faim, je l’ai regardé avec de la curiosité et compassion, je l’ai accueillie, je lui ai fait de la place et témoigné du respect. Quoi-qui que ce soit que l’on observe avec des yeux d’amour s’en voit embelli et bonifié.
Sortie de ce récit lyrique, je vous vois vous demander : “non, mais à quoi ça ressemble d’”aimer” sa faim ou d’être “douce” avec elle ?” . Je vous amène un peu de théorie et je réponds à cette question en fin d’article.
2. La faim réjouissante
Avoir faim, quand on est effectivement en surpoids ou au dessus de notre poids d’équilibre ET que l’on souhaite en perdre (avec un carburant d’amour pour soi), c’est une sensation qui est plutôt réjouissante : la faim nous annonce que notre corps n’a plus d’énergie en stock et qu’il va pouvoir puiser dans nos réserves (de graisse, et si on veut s’en délester, c’est précisément ce que l’on cherche). Elle est aussi le signe du repas qui s’annonce, l’hormone du plaisir, la dopamine, est déjà en train d’être sécrétée (on s’en lèche les babines).
Enfin, elle nous invite à faire des projets, à nous connecter à nos envies, révélateurs de nos besoins en nutriments, elle nous aide à prévoir et orienter nos choix :
De quoi ai-je vraiment envie ce midi ? Qu’est-ce qui va vraiment me régaler ?
Quand on occulte cette sensation : parce qu’on y résiste, qu’on la nie, qu’on n’en tient pas compte, ou qu’on ne lui laisse pas le temps d’arriver parce qu’on la craint, on passe à côté de plusieurs choses essentielles :
- L’accès à nos besoins spécifiques : ai-je envie d’une soupe qui me réconforte et me réchauffe ? Ai-je envie de salade, de melon, de volaille, de fromage, d’une tartine de pain beurrée ?
- La possibilité de faire des choix pour soi, l’occasion de répondre à nos besoins et d’en prendre soin.
- L’accès au rassasiement qui va suivre : pas de faim, pas de rassasiement.
- La possibilité pour notre corps de puiser dans ses réserves, en attendant le repas.
A l’inverse, sans aller à la rencontre de votre faim, vous laissez votre comportement alimentaire être dicté par les règles diététiques superposées dans votre tête, les envies de manger émotionnelles, les impulsions, les prises alimentaires sans conscience ni plaisir et tout le blabla mental qui vous épuise.
3. La régulation du comportement alimentaire
Le comportement alimentaire “normal” est régulé par deux systèmes :
- Le système faim/satiété déclenché par la baisse du taux de glucose dans notre sang qui signale le besoin de faire le plein d’énergie.
- Un système hédonique motivé par la dimension “plaisir” qui oriente nos goûts et nos – vraies – envies vers des aliments qui vont répondre à nos besoins en nutriments, aliments qui sont censés nous procurer le plus grand plaisir lorsqu’ils sont consommés.
Par ailleurs, cette régulation est l’héritage de nos ancêtres, particulièrement efficace et performant pour survivre à un mode de vie des cavernes où la nourriture était :
- rare
- Incertaine
- difficile d’accès
Je fais le pari que c’est assez loin du contexte dans lequel vous vivez aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Pendant des millions d’années, nous avons fonctionné en alternant des périodes où la nourriture était accessible et d’autres périodes de famine où la nourriture était rare. Nous, les êtres humains qui avons survécu à ce contexte, avons été sélectionnés par l’évolution, et sommes donc programmés pour :
- Etre en capacité de ralentir notre métabolisme pour fonctionner avec moins : pour s’adapter aux périodes de disette, notre corps fonctionne en brûlant moins de calories.
- Faire le plein et stocker du gras comme une réserve dans laquelle on est content de puiser quand la nourriture est absente.
En fait notre corps n’a pas du tout envie de perdre du poids.
Quand on s’impose un régime à 1000 calories suivi à la lettre, pour notre corps de 16 ou 20 ans, c’est l’équivalent d’une période de famine. Vous connaissez ce cycle : au départ, la lune de miel du régime pendant laquelle tout se passe à merveille, puis, votre corps s’adapte, votre métabolisme s’effondre (mode économie d’énergie activé), et la faim tiraille de plus en plus, votre stock de volonté s’épuise, les résultats se font moins probants, la déception et le découragement viennent vous rappeler à vos vieux démons et le craquage advient.
Dans toutes ces situations, ce n’est pas vous le problème, ce n’est pas nous le problème. Le problème c’est notre système de réponse au stress qui est hyperperformant et qui cherche à rétablir l’équilibre après une famine imposée. Là où nous voyons un problème, il s’agit de la solution trouvée par notre corps pour rétablir l’équilibre.
Considérer que notre corps est défaillant à ce moment là de notre histoire, c’est souvent le point de départ vers le cycle sans fin privations/perte de contrôle.
4. La peur d’avoir faim
Et celle qu’on accuse souvent de tous les maux, la grande coupable, c’est souvent la faim. Elle devient celle qu’il faut craindre et éviter, sous peine de se retrouver incontrôlable avec la nourriture. Et une des conséquences de cela, c’est que toutes les régimeuses finissent par développer une peur intense d’avoir faim. Et notre stratégie d’être humain lorsque nous sommes face à une peur, c’est de mettre en place des actions d’évitement : ici, donc, s’éviter d’avoir faim.
Or, manger pour répondre à une faim, c’est logique, mais manger pour éviter de ressentir une faim hypothétique, autrement dit manger pour fuir la peur d’avoir faim, c’est logique du point de vue de la phobie, mais ça joue clairement contre nos objectifs. Et raisonnablement, patienter en ayant un peu faim pendant quelques temps est en soi inoffensif**. D’ailleurs, qui n’a jamais fait patienter son enfant qui hurle qu’il est mort de faim alors que le repas n’est pas prêt.
Ca va, tu peux bien attendre 19h, mets la table, range tes affaires et ce sera déjà l’heure de manger.
Bien sûr, c’est un comportement régulé d’utiliser parfois une stratégie mentale et d’adapter nos prises alimentaires en fonction du contexte. Anticiper une faim prochaine ou au contraire, décider de se réserver pour le restaurant de ce soir. Si je pars pour une journée de rendez-vous sans pause et qu’en partant de chez moi à 11h je n’ai pas faim, peut-être que je vais malgré tout prendre un petit repas histoire de préserver mon niveau d’énergie et de concentration jusqu’à ce soir 20h. Je peux aussi décider d’emporter une collation facile à manger “au cas où”, l’inconfort soit trop intense. Ou, je peux simplement ne pas avoir ce souci-là qui me traverse, ce qui est personnellement mon cas aujourd’hui. Je ne me demande plus :
et si j’ai faim ???
Si j’ai faim, je patienterai ou je trouverai de quoi me restaurer si besoin (puisque toute nourriture m’est 100 % autorisée).
La peur de la faim, c’est donc une émotion induite par l’approche classique régime qui nous encourage à :
- Manger en prévision de l’éventuelle faim qu’on pourrait ressentir et pourrait nous faire craquer sur des aliments “interdits”.
- Manger de gros volumes d’aliments peu caloriques pour induire une sensation de distension de l’estomac qui vient progressivement remplacer la notion de rassasiement.
Ainsi, être rassasiée devient : avoir l’estomac distendu, sensation que l’on va chercher progressivement avec tous types d’aliments, y compris ceux qui ont une densité calorique élevée. Or, si la faim peut se manifester à nous par une sensation de creux dans le ventre, être rassasiée, ce n’est PAS avoir le ventre plein. Confondre rassasiement et ventre plein, c’est la porte ouverte à la suralimentation.
La peur d’avoir faim nous coupe donc à la fois de la faim, du rassasiement et de la satiété (l’absence de faim). Autrement dit, la peur d’avoir faim nous prive de notre connexion à notre corps et de notre seul moyen interne de régulation de notre alimentation.
Or, un humain qui va bien, c’est un humain connecté à lui-même et donc, connecté à son corps.
La faim, c’est donc une des premières sensations qu’on apprend à apprivoiser pour ne plus avoir à la craindre et s’engager dans des comportements contre-productifs. C’est une des premières expériences que je propose dans mes accompagnements. Connaître votre faim et apprendre à la regarder pour ce qu’elle est : le signal qu’il est temps de faire le plein et l’assurance des meilleures conditions possibles pour profiter de votre repas ne suffira pas à créer une relation sereine avec la nourriture. En revanche, sans cette connexion, vous aurez du mal à avancer sur les autres sujets, ne serait-ce que faire la différence entre une faim et une envie de manger, entre la faim et l’anxiété (dont les manifestations physiques sont relativement proches).
5. Ma faim chérie
Comme promis et en guise de conclusion, voici à quoi ressemble ma relation de connexion avec ma faim. Parfois, elle arrive au bon moment et il n’y a pas de sujet : je me connais assez bien pour savoir quoi choisir pour bien me nourrir. Mais parfois, ma faim débarque et me dérange : je ne m’attendais pas à elle, pas maintenant, elle perturbe mes plans. Alors, comme à une amie chère qui me rendrait une visite au mauvais moment :
- je reste souriante,
- j’accueille son arrivée avec joie, sans résistance et
- je lui demande – parfois – de patienter
Je vais m’occuper de toi avec plaisir, j’ai juste besoin de finir ce truc, mais rassure toi, j’arrive, installe toi confortablement, prends tes aises, fais comme chez toi.
Aujourd’hui, ma faim est chez elle quand elle est chez moi.
C’est le cas de la faim, mais c’est aussi le cas de toutes les “données” qui arrivent depuis mon corps : sensations, émotions, poids, impulsions, envies, douleurs, fatigue… elles méritent mon attention et quand j’invite aussi la compassion pour les regarder (plutôt que la résistance ou la lutte), elles se font moins pénibles. J’en fais l’expérience, vous en ferez l’expérience si vous osez l’expérimenter, et la science le confirme avec des centaines d’études à ce sujet.
Ce n’était pas mon propos du jour de vous parler d’amour ou d’auto-compassion, mais vous noterez comme je l’ai déjà signalé que ce sujet infuse dans tous les autres et qu’il a tendance à se présenter à chaque thème que j’évoque.
Au regard de ce partage, avez-vous le sentiment que votre peur d’avoir faim dicte votre rapport à la nourriture ? Qu’elle vous maintient parfois prisonnière de comportements dont vous sentez bien qu’ils sont contre-productifs ? Si la réponse est oui, alors osez l’expérience : laissez la faim exister (un peu). Observez-là avec curiosité, essayez la compassion. Apprivoisez les sensations.
Il y a quelque chose qui relève de votre souveraineté alimentaire qui se joue ici.
C’était ma Lettre N°4, je vous remercie chaleureusement de m’avoir rejoint et de me lire. Si vous pensez que le contenu pourrait être utile autour de vous, vous pouvez transférer le mail ou utiliser le bouton “Partager” plus bas.
Je vous invite à me dire ce qui a retenu votre attention dans cette édition ? Qu’est-ce qui était peut-être moins clair pour vous ? Quel est le sujet que vous aimeriez que je traite prochainement ?
*Citation de Louis Auguste Commerson
** Merci de ne pas utiliser ou déformer mes propos pour justifier une bascule a*n*ore*x*ique : la faim est bien évidemment inoffensive, en particulier si vous êtes en surpoids, mais évidemment, quand on se déteste, on perd tout à gagner la lutte avec la faim. Ce n’est jamais mon invitation. A l’autre bout du spectre des troubles du comportement alimentaire, on apprend à répondre à nos compulsions et à toutes les invitations à manger que nous propose notre corps. Elles sont bien la solution la plus intelligente qu’ait trouvée notre corps pour reprendre ses droits, et survivre.
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